• Vendredi 30 novembre 2012

    Qui n’a jamais visionné deux heures de commission d’audition parlementaire à la télévision ne sait ce que le mot vacuité veut dire. Pour les non initiés, il s’agit d’un exercice télévisuel inédit, sorte de mélange de Derrick au niveau de l’action, d’un reportage d’ Arte en allemand au niveau des cadrages, et du Tribunal de la Haye au niveau des décors.

    Passons outre ce suspens insoutenable et lançons l’émission. Ce jeudi 29 novembre 2012, la salle Lamartine de l’Assemblé Nationale accueillait pour un débat les représentants des six cultes majeurs présents en France au sujet du projet de loi sur le mariage homosexuel.

    Mise à part la Béatitude représentant les bouddhistes de France, toute d’orange parée (nous apprendrons en fait en essayant de comprendre qu’elle ne représente qu’elle-même, puisque le bouddhisme est à part et n’a pas d’instance représentative. Bref, c’est finalement anecdotique) l’heure est au sérieux, les cravates se mélangent aux tenues cléricales, la croix et la kipa sont alignées sur le même banc.

    Très haut tout seul sur une estrade, le rapporteur, Mr Binet. Très sympathique. Charmant même. Tout le monde est très heureux de se retrouver, se dit bonjour, merci, les « Mr le grand rabbin, Mr le cardinal » fusent au début de chaque phrase : nous entrons dans le sujet, le vrai débat peut enfin commencer.

    Chacun des six s’exécute, bon élève, on sent que les textes ont été bien préparés. L’exercice est délicat, nous sommes au cœur de la République, à deux pas de la place de la concorde où bien des curés on perdu la tête sous d’autres régimes, il ne s’agit pas de faire de fausse note. A aucun moment la Bible ou le Coran ne sont cités, Mr Moussaoui ne proclame pas de fatwa, le Cardinal n’excommunie pas, et l’anthropologie, l’histoire et la philosophie sont convoquées au banc des six élèves (enfin cinq, parce que la dame en orange nous expliquera surtout ce qu’est le bouddhisme, on aura au moins appris quelque chose) comme argumentaire serein et équilibré.

    Il ne s’agit pas de déraper : le sujet est sensible.

    Les plans fixes se succèdent, et nos représentants des cultes ont parlé. 10 mn chacun maximum. L’audition est prévue pour durer 2 heures.

    Vient le temps des questions des parlementaires présents :

    Première surprise : pour poser une deux ou trois questions, certains parleront 10 minutes. Sachant que les questions s’enchainent, et qu’elles se transforment tantôt en leçons, tantôt en réquisitoires, tantôt en accusations sulfureuses, on comprend peu à peu que la mascarade prend forme : pour toute réponse, les ministres des cultes auront droit chacun à « 3 à 5 minutes », autant dire que le jeu est pipé.

    Deuxième surprise : l’ensemble des parlementaires intervenants est pour le mariage homosexuel. Il n’y a donc sur l’ensemble des députés  aucun élu contre ce projet de loi ? Tous sont de gauche, pourtant il y a dans la commission au moins deux députés de droite. Mais ils n’ont pas eu le micro.

    Troisième surprise : le niveau des questions et le manque de sérieux de ce débat sont tels que Mme le député Marie France Clergeau appellera le cardinal archevêque de Paris « Jean XXIII ». Elle vient de le faire pape sans même s’en rendre compte. Après quelques murmures, elle se reprendra en pouffant de rire comme une enfant ayant fait une bonne blague. Peut-être était-ce un pari lancé par son mari au petit déjeuner ? « t’es pas cap de l’appeler Jean XXIII ». Si le prix du pari était un restaurant chic près de l’Assemblée, la dame a du fort bien dîner ce soir…

    On alignera les poncifs contre les religions dans ces questions, l’un appelant à la rescousse Vatican II et la liberté religieuse pour montrer que les religions doivent s’adapter au monde et suivre l’évolution, l’autre un article d’un ancien moine fustigeant les évêques, et enfin une dame en rouge rappelant benoitement que « les cultes n’ont qu’un regard très particulier qui ne rassemble pas ce que la société veut dire, et que le débat ne doit pas se tenir dans la rue mais ici dans cette salle Lamartine ». « Ce n’est pas bien ce qui se passe en ce moment, ce n’est pas bien pour la démocratie, ce n’est pas bien pour les cultes ». Nous ne saurons jamais ce qui n’est pas bien, mais bon, c’est pas bien. Il manquait un « nananère ».

    Quatrième surprise : la très longue intervention de monsieur Alain Tourret, député-maire de Moult. 10 minutes, pour poser 3 questions. Une moyenne de 3mn 20 par question. Ou comment s’écouter parler. Après avoir fait étalage de ses études en droit canonique et s’être auto proclamé spécialiste du 4° concile du Latran. (Une rapide recherche sur google nous apprendra que sa spécialité doit être très ancienne ou n a pas beaucoup porté de fruits.) ce monsieur, courtois et poli, va s’enliser dans un monologue anti religions largement orienté vers le cardinal archevêque de Paris. Il faudra à Mgr Vingt Trois toute sa force de caractère pour encaisser, impavide, cette charge à la hussarde.

    A cet instant précis, le débat a basculé. Nous pouvions comprendre que tout était joué d’avance, que la salle Lamartine se transformait en tribunal d’une inquisition laïque n’ayant rien à envier aux heures sombres de l’histoire, ces heures sombres appelées pourtant à la rescousse par Mr Tourret pour mieux rappeler que les religions ont fait les mauvais choix de l’Histoire par leur silence voire leur compromission. Exemple parmi d’autres : « où étiez-vous lors des débats pour l’émancipation de femmes ?" On a même eu droit au « silence des évêque sous la nazisme » et à d’autres procès trop longs à développer ici. Puis un très gracieux « finalement, les religions, vous êtes des lobbys ».

    Le coup de grâce fut donné, l’estocade, la mise à mort dans l’outrecuidance :

    «J'ai vu à quel point peut être dans la ligné du pape actuel (…) vous lancez vos troupes, vous lancez vos évêques, vous allez lancer vos catholiques s'il en reste! Mais jusqu’où allez vous aller ? Allez-vous encourager les manifestations dans la rue comme au moment de l’école libre ? Ne croyez-vous pas que nous devons en rester aux idées et à la philosophie et laisser aux députés que nous sommes décider, puisque nous avons été élus pour ça ?.»

    Sommant le cardinal de s’expliquer, de s' auto-justifier, ce qu’il ne fera bien évidemment pas, ne répondant à l’absurdité que par une réponse posée et simple.

    Les 65 pourcent de catholiques en France apprécieront l’insulte qui leur est faite : « s’il en reste »… Ils apprécieront aussi d’être assimilés aux petits soldats d’une « troupe » envoyée par les évêques.

    En conclusion, les représentants des cultes n’ont eu chacun que deux à trois minutes pour répondre. A ces 35 minutes de feu nourri, de mensonges et de charge univoque contre les religions, surtout contre la religion chrétienne.

    L’émission s’arrête. On hésite entre aller se coucher, regarder Arte pour enfin avoir de l’action, ou pleurer devant tant de malhonnêteté intellectuelle. Les heures sombres; appelées en grand renfort par des parlementaires acquis à la supercherie pour culpabiliser les religions; sont en train de revivre, frétillantes, sous les coups de projecteurs des plans fixes de cet exercice télévisuel. Une page que l’on voudrait tourner vite. Très vite. Et mesdames et messieurs les parlementaires, qui redoutez tant que les opposants à votre loi se fassent entendre dans la rue, vous qui avez pourtant arpenté joyeusement les pavés pour des combats qui vous semblaient justes, vous risquez de nous y envoyer tout droit, dans la rue. Quand le « débat » est à ce point falsifié, malmené, quand la démocratie devient simulacre de procès, le seul instrument démocratique justement qui nous reste est cette rue dont vous voudriez tant nous extraire. N’ayez crainte. Tout cela restera pacifique, parce qu’au mépris et à la haine nous répondrons par le respect et par l’Amour. Et surtout pas au nom de notre religion. Mais parce que nous sommes des citoyens debout, que ni l’insulte, ni le mensonge n’intimident.

    Rendez-vous le 13 janvier à Paris.

    Père Amaury Cariot

    Lien vers la vidéo de l'audition.


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  • André Vingt-Trois"Que les catholiques de notre pays sachent que leurs évêques les encouragent à parler, à écrire, à agir, à se manifester...

    Ils ont le droit de témoigner de ce qui, dans la lumière de notre foi et selon la logique de la raison et du bon sens, leur semble essentiel pour le présent et pour l'avenir."

    - Cardinal André Vingt-Trois, archevêque de Paris, Président de la Conférence des évêques de France, discours de clôture de l'Assemblée plénière des évêques de France à Lourdes, jeudi 8 novembre 2012.

     

    Espérons que ca soit un droit absolu et non juste quand ils va dans le sens du discours officiel des autorités écclésiales...


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    Comme vous le savez déjà, je suis plutôt pour le mariage "pour tous" mais étant donné les militants du "pour" et la pauvreté de leurs argument j'aimerai faire quelques remarques.

    Premièrement, le mariage civil ne reconnaît en rien un sentiment, fut il amoureux...donc si le problème est de reconnaître l'égalité de valeur des sentiments hétéro/homo je crois que communauté lesbienne et gay se trompe de combat...

    Certes, la plupart des gens n'ont pas cettes lecture cartésienne et "juridique" du mariage. Ils aspirent à une égalité d'accès au rite républicain, au "droit" de s'unir publiquement, au beau costume, à la belle robe, au cortège klaxonnant et à tous les flonflons.

    Néanmoins, en tant que juriste et citoyen, je trouve aberrant qu'on fasse une loi pour que soit reconnu un sentiment, même si je comprends tout à fait qu'on puisse se sentir exclu d'un usage.

    Ensuite, ce qui m'embête c'est que beaucoup parlent de "droit" alors que c'est une question sociale. Les passions parlent plus que la logique en ce moment et s'il y a une chose qui ne va pas avec l'établissement de la loi, c'est une absence de débat serein. Il me semble de plus que ce n'est pas à l'Etat de constater et valider un état amoureux...et c'est d'ailleurs ce qu'il se refuse à faire, la forme contractuelle du mariage civil étant la plus parfait expression de cette position.

    On en a eu de nombreux exemples cette dernière décénie de lois vite inventées et vites votées pour répondre à une actualité surmédiatisée, principalement dans le domaine de la sécurité, mais à part satisfaire d'une victoire symbolique une partie de la population et gagner leur sympathie électorale elles ne servent généralement à rien, étant soit inapplicables, soit inconstituonnelles, soit sans décret d'application...

    Légiférer trop rapidement sur ce type que question sociale, imposer par la pression médiatique une facon de penser est une grossière erreur : on voit l'efficacité des lois antiracistes qui, à part exacerber un sentiment d'injustice chez le petit blanc, n'ont rien fait avancer pour lutter contre cette pensée écoeurante...et ne parlons pas des lois mémorielles...

    Je pense (et je l'ai déjà expliqué) qu'on devrait plutôt repenser le mariage civil en profondeur : pour tous, mais avec un réel sens (au-delà du contrat) pour aller dans le sens de l'usage commun, avec un peu de formation sur ce qu'il implique et la mise en place d'une réelle cérémonie républicaine.

    Si, en fait, c'est la quête d'une égalité dans la "normalité" qui est le fond de l'affaire, je crains qu'on prenne le problème par le mauvais bout.

    J’ajouterai même que, personnellement, l'idée même de normalité porte en elle un problème : la négation des différences par l'assimilation silencieuse, ce qui me fait plus craindre pour la "culture gay" que le refus de quelques arc-boutés du droit de passer devant madame le maire pour se voir lire trois articles du code civil et signer là, en bas...

    Pour finir j’apprécierai de voir une communauté vilipendée et rabaissée pendant des siècles ne pas utiliser les même méthodes contre ses opposants.

    Il me semble assez absurde de se battre contre le gaybashing en pratiquant le cathobashing, de réclamer la reconnaissance de son amour tout en ne montrant que de la haine idiote...on peut être gayfriendly et agir un peu plus intelligemment que ca.


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